La tête hors de l’eau

Publicat pe 20 august, 2009

Autor: Mustapha Kessous – Le Monde

667635 Cette légende est née le 19 septembre 1988, aux Jeux de Séoul, en Corée du Sud. Au neuvième saut, sa tête heurte le plongeoir. Il souffre, se tient la tête, un peu de sang s’en échappe. Pourtant, les points de suture ne l’empêcheront pas de conquérir les titres suprêmes.

1960 Naissance à El Cajon, en Californie.
1976 Médaille d’argent au tremplin à 3 mètres aux Jeux olympiques de Montréal.
1984 Devient double champion olympique de tremplin à 3 mètres et de haut-vol à Los Angeles.
1988 Malgré son accident lors d’un saut, il gagne une médaille d’or au tremplin et une autre aux 10 mètres aux Jeux olympiques de Séoul.
Il apprend qu’il est porteur du VIH.
Il annonce sa retraite à la fin des Jeux pour se consacrer à une vie d’acteur.
1994 Révèle son homosexualité et participe aux Gay Games.
1995 Publie son autobiographie, „Breaking the Surface”. Il révèle notamment au grand public qu’il a le sida.
1999 Publie un livre consacré aux chiens, „For the Life of Your Dog”.
2009 Il lance le programme „Positive Pets Charity”, qui permet de lever des fonds pour les malades du sida.

Greg Louganis était une oeuvre d’art à la peau bronzée, au sourire immuable. Une merveille au talent insolent, au point que ses adversaires, impuissants, ne pouvaient que capituler face à ce monstre de beauté, devenu depuis une icône gay aux Etats-Unis. Du haut des tremplins olympiques, de trois ou de dix mètres, la perfection s’appelait alors Louganis.
En 1988, lors des Jeux en Corée du Sud, son entraîneur, Ron O’Brian, racontait au Monde :”Regardez Greg Louganis plonger, vous verrez Mikhaïl Barychnikov en train de danser.” Pendant douze années, de 1976 à 1988, sur les pistes au goût de chlore, il a dansé comme une étoile avec ses deux cavaliers : le vide et l’eau. Aujourd’hui, la beauté a pris un peu de ventre, les joues sont moins affûtées, les cheveux, couleur argent, ont poussé.
Nichée sur les hauteurs de Malibu, en Californie, la maison de Greg Louganis, 49 ans, est modeste. Vous avez dit plongeur ? Chez lui, pas une ombre de son passé glorieux. Aucun trophée crânement accroché au mur ou déposé sur la cheminée… Où sont les traces de ses 47 titres nationaux, de ses 5 couronnes mondiales, de ses 4 médailles d’or olympiques (deux en 1984 à Los Angeles et deux autres en 1988 à Séoul) ? „Je ne les ai plus, sourit-il. Elles sont dans un lieu d’histoire.” Dans un musée, en Floride, car „ces médailles appartiennent aux fans”, dit-il de sa voix douce à peine audible. Greg rougit même quand il doit évoquer son palmarès.
Aujourd’hui, la piscine de sa villa semble n’être qu’un vulgaire „meuble de déco”. Douze années que Greg n’a plus plongé. L’homme ne danse plus au-dessus de l’eau, mais sur l’herbe avec ses „amoureux” :… ses chiens. Nipper, Hedwig, Gryff et Dobby, des noms piqués à certains personnages d’Harry Potter.

Greg Louganis les entraîne dans son jardin étriqué, un parcours avec cerceaux, balançoire… Il les aligne dans des concours à travers les Etats-Unis. Parmi ses deux jack russel, son berger hongrois et son border collie, certains font partie des meilleurs chiens de dressage du pays. „On s’amuse bien”, explique-t-il. Il élève aussi des animaux qui ne sont pas les siens, sans un cri, en leur répondant, car „ils me parlent tellement”, dit-il. „Tout en douceur. Si vous haussez la voix, ils ne vont pas comprendre”, explique celui qui s’épanouit dans sa nouvelle vocation.
Pourquoi une telle passion ? „Ces chiens me donnent un amour inconditionnel, lâche-t-il. Ils ne vous jugent pas, ne trichent pas, ils sont honnêtes.” Ils dorment dans sa chambre, à ses pieds. Greg Louganis, un pro de la race canine ? En 1999, il publie son un livre, For the Life of Your Dog, un guide complet sur la vie d’un chien (naissance, santé…). Il n’y a aucun doute : entre les animaux et les humains, son choix est vite fait. „Quand vous êtes célèbre, votre chien ne va pas tenter de profiter de vous en pensant que vous êtes riche, raconte ce „déçu” des hommes. A la rigueur, il voudra un cookie.”
Pour trouver d’autres raisons à son amour canin, il faut plonger dans son autobiographie Breaking the Surface, restée cinq semaines au top des meilleures ventes en 1995, selon une liste de livres établie par le New York Times. Greg Louganis y raconte son homosexualité, son enfance, celle d’un bambin adopté, meurtri par sa peau métisse au point d’être traité de „nègre” (il a des origines samoanes). Il y dévoile aussi son viol, un père violent, le sida, ses tentatives de suicide, un amant qui le dépouille… „Quand les gens ont vu que je parlais ouvertement de moi, ils ont pensé que j’avais les mêmes souffrances qu’eux, souligne-t-il. Je n’étais plus au-dessus d’eux, je suis devenu humain à leurs yeux.” Ses chiens ont donc su lui donner un „équilibre” tant cherché, atténuer les douleurs du passé que le succès et les médailles n’ont pas su panser. „Me concentrer sur eux me permet de m’oublier”, raconte-t-il. Oublier la maladie…
Il l’avait appris six mois avant les JO de Séoul. Lors de sa triste chute, les quelques gouttes de sang dispersées dans la piscine l’ont hanté : Greg Louganis n’avait pas encore révélé sa séropositivité. Il redoutait d’avoir contaminé les autres plongeurs ou le médecin qui ne mit pas de gants pour le soigner. Mais aucun risque : trop peu de sang s’était répandu dans l’eau…
Il y a quelques mois, ce porte-parole de la communauté gay américaine a lancé un programme appelé „Positive pets charity”. L’idée est de lever des fonds pour aider les malades du sida à se soigner, car, selon l’ex-plongeur, „beaucoup d’entre eux préfèrent s’occuper de leur animal que de se payer des médicaments, extrêmement coûteux”. En mai, à Charlotte (Caroline du Nord), lors d’une marche contre le sida, Greg Louganis a recueilli 172 000 dollars (123 000 euros) pour sa cause…
Soutenir financièrement les malades, mais aussi prouver que les animaux de compagnie peuvent… prolonger la vie. La sauver aussi, comme la sienne a pu l’être grâce à ses boules de poils : „Ils donnent une raison d’exister, de s’occuper de soi, insiste l’ex plongeur. C’est une forme de socialisation aussi, car on sort dans des parcs à animaux, on rencontre des gens.” Une raison de vivre et de ne pas abandonner. „Vous ne pensez plus à votre maladie ni à la douleur”, répète-t-il.
Le moral chute de temps en temps, mais Greg se maintient, malgré les deux médicaments à prendre chaque jour. Il a ses cours de yoga ou de fitness : „Il faut garder la ligne.” Car l’ancien athlète n’est pas seulement un éleveur de chiens. Il est aussi comédien. Trois films au compteur, et des tas de pièces de théâtre. La prochaine – The Little Dog Laughed („le petit chien riait”) – sera jouée en avril 2010, à Palm Springs, plaisante ville de retraités à deux heures de Los Angeles. Il jouera le rôle d’un homme coincé entre sa carrière et l’amour. Et que va-t-il choisir ? „Sa carrière”, rigole-t-il.
Nipper n’arrête pas d’aboyer. Peut-être est-ce le bruit des ouvriers qui transforment la maison en résidence écolo… A 12 ans, c’est la doyenne des chiens Louganis. Elle arrive à ses pieds : Greg lui parle, lui demande ce qu’elle a, la caresse pour la rassurer… „Vous savez, j’aime la France, vous êtes tellement gentils avec les animaux, nous lance-t-il. Une preuve ? J’avais vu un truc incroyable à Paris et à Cannes pendant le Festival : des motocrottes !”

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