Même avec Usain Bolt, l’athlétisme ne déchaîne plus les foules
Author: Yannick Cochennec
Rédacteur en chef adjoint de Tennis Magazine
de 1997 à 2007, aujourd’hui à L’Equipe Magazine,
Golf Magazine et Golf Européen
Le Stade Olympique de Berlin, qui accueille les championnats du monde d’athlétisme jusqu’au 23 août, a déjà couronné son nouveau roi, Usain Bolt, 73 ans après avoir consacré une autre légende, Jesse Owens, héros des Jeux de 1936 pour le plus grand déplaisir d’Adolf Hitler.
Dans la capitale allemande, l’athlétisme a continué ainsi à imprimer sa marque de sport universel lors d’une compétition qui, outre les exploits sidérants de l’homme le plus rapide de la planète, a permis de faire monter sur le podium des hommes et des femmes issus des cinq continents et des pays les plus divers. C’est la richesse et la singularité de cette discipline, traditionnellement reine pendant les Jeux Olympiques, de récompenser, des sportifs représentant les plus grandes puissances économiques -les Etats-Unis au premier rang d’entre elles- mais aussi ceux nés sur des terres nettement moins prospères, à l’image de la Jamaïque, devenue l’île aux trésors des sprinters, l’Ethiopie, qui continue de dominer les courses de fond avec le Kenya, ou de l’Erythrée qui a arraché une médaille -autant que la France après cinq jours d’épreuves.
Sport mondial par excellence, l’athlétisme se trouve pourtant au creux de la vague, même si l’avènement d’Usain Bolt depuis 2008 a été la divine surprise qu’attendait l’IAAF, la fédération internationale d’athlétisme, qui compte utiliser ce phénomène exceptionnel et médiatique à des fins promotionnelles pour tenter de redonner du lustre et un élan à un sport en difficulté. Car à part Bolt, où sont les stars d’aujourd’hui? Celles qui, hier, s’appelaient Carl Lewis, Sergueï Bubka, Mike Powell, Michael Johnson, Merlene Ottey, Heike Drechler, Cathy Freeman ou Marie-José Pérec?
Désintérêt américain
La tâche de l’IAAF s’annonce ardue en Europe, où les audiences télés restent molles et où la pratique de l’athlétisme décline sévèrement comme en Grande-Bretagne, qui avait un vrai goût pour l’athlétisme, mais surtout aux Etats-Unis où ces championnats du monde de Berlin ont été une sorte de non événement tant les medias d’outre-Atlantique ont quasiment fait l’impasse sur la semaine allemande. Battu au cœur de la saison de baseball, et à l’orée de celle de football, et le jour même où Tiger Woods subissait la pire défaite de sa carrière lors du PGA Championship, le record du monde d’Usain Bolt sur 100m a été rangé parmi les brèves sportives de la journée que ce soit à la télévision ou dans les journaux.
Si Bolt n’avait pas été Jamaïquain, mais Américain, le traitement réservé à ces 9s58 aurait probablement été meilleur, mais elles n’auraient pas fait la une des medias aux Etats-Unis, pays qui a moissonné les médailles depuis les premiers championnats du monde d’athlétisme en 1983 mais qui ne s’intéresse vraiment à ce sport qu’une fois tous les quatre ans, à l’occasion des Jeux Olympiques. Il est notable de relever que les Américains n’ont jamais organisé le moindre championnat du monde depuis 26 ans, preuve que les exploits de la piste ne les passionnent guère. Il faut constater aussi que Carl Lewis, qui régna sur l’athlétisme des Jeux de Los Angeles en 1984 à ceux de Barcelone en 1992, est aujourd’hui «oublié» et invisible dans son propre pays, pourtant toujours prompt à célébrer ses gloires du passé, surtout quand elles ont brillé sur les terrains de football, de basket ou de baseball.
Suspicion
L’affaire BALCO et l’incarcération de Marion Jones, championne olympique déchue pour cause de dopage, ont fait des ravages aux Etats-Unis comme ailleurs. Comme, en son temps, le scandale Ben Johnson aux Jeux de Séoul de 1988 suivi de tant d’autres révélations nauséabondes qui ont touché des champions olympiques du 100m comme Linford Christie ou Justin Gatlin. Désormais, le public se montre réservé à chaque record ou performance qui paraît suspect -les 9s58 et les 19s19 de Bolt suscitent, avouons-le, autant de plaisir que d’incrédulité. Il ne comprend pas davantage que l’IAAF n’a pas réglé, au préalable, le cas de la Sud Africaine Caster Semenya, championne du monde du 800m à Berlin et suspectée de ne pas être une femme, qui n’a pas subi, avant le début de la compétition, les contrôles nécessaires pour lever tous les soupçons. Un sport qui se laisse tourner en ridicule n’est certainement pas un sport bien administré et donc en bonne santé.
Mais au-delà du dopage et des archaïsmes procéduriers, l’athlétisme n’est tout simplement plus dans la course, si l’on peut dire, face à d’autres sports qui attirent plus la jeunesse, particulièrement dans les pays industrialisés. Le cas d’Usain Bolt, qui monnaye ses apparitions en meeting autour des 200 000 dollars (les prix risquent de monter après ses deux records du monde de Berlin), reste encore exceptionnel. L’athlétisme, activité saisonnière et aride qui nécessite beaucoup de sacrifices tout au long de l’année, est, en effet, largement à la traîne en termes de rémunérations derrière des sports comme le football (américain aux Etats-Unis), le tennis et le basket qui ont su évoluer avec leur temps pour susciter les vocations en dépoussiérant leur image et en empruntant notamment la voie de la «peopolisation» de ses vedettes.
Lamine Diack, le président sénégalais de l’IAAF, souhaite que la pratique de l’athlétisme à l’école soit de nouveau généralisée pour permettre l’émergence de nouveaux talents. La Fédération Française d’Athlétisme est obligée de constater, par exemple, que son nombre de licenciés (192 000) ne décolle pas, faute de locomotive comme le fut Marie-José Pérec, qui n’a jamais été remplacée depuis.
Chute du Mur de Berlin
Mais l’athlétisme ne regagnera pas le terrain perdu que les soubresauts de l’histoire lui ont fait céder. La chute du Mur de Berlin a scellé, d’une certaine manière, le sort de ce sport en marquant la fin d’une ère, celle des affrontements entre grands blocs sur les pistes du monde entier. Si l’athlétisme était plus populaire aux Etats-Unis et en Europe dans les années 70 et 80, c’est tout simplement parce que le stade y était le cadre de règlements de compte, pacifiques mais néanmoins féroces, entre l’Est et l’Ouest. Le combat entre les Wundermädchen de la RDA et les Américaines sur les courses de vitesse constituaient de vrais rendez-vous télévisuels et stimulaient les taux d’audience. Le stade est aujourd’hui dépolitisé, aseptisé, même si l’Ethiopie utilise les exploits de ses coureurs de fond pour exister sur la carte du monde et si la Chine, par le biais de Liu Xiang, champion olympique du 110m haies à Athènes en 2004, aurait voulu abattre cette même carte nationaliste lors des Jeux de Pékin. Mais le pauvre Liu Xiang, blessé et incapable de prendre le départ lors des qualifications, a brisé le rêve de tout un peuple et de ses dignitaires.
La Croate Blanka Vlasic, qui a conservé son titre de championne du monde du saut en hauteur à Berlin, a résumé le problème de l’athlétisme à sa manière dans les colonnes de L’Equipe en 2007: «Ce ne sont pas seulement les résultats qui font les stars, la personnalité est très importante. Il faut que les gens soient heureux ou tristes avec vous. Alors, il faut montrer ses émotions. Il faut accepter d’être en relation avec le public pour que celui-ci vous accepte. C’est lui qui décrète qui est une star et qui n’en est pas une.» Visiblement, seul Usain Bolt, qui chorégraphie avec fantaisie chacun de ses succès, trouve actuellement grâce à ses yeux. L’Ethiopien Kenenisa Bekele, champion du monde du 10 000m pour la quatrième fois, mais timide et effacé, fait, lui, partie des nombreux recalés…